Le genre littéraire de l’atlas : des cartes précises aux voyages dans un fauteuil
Depuis sa création à la fin du XVIe siècle, l’atlas est un objet souvent très beau, mais qui sert d’abord à transmettre des informations précises. En même temps, les cartes de contrées plus ou moins lointaines ont toujours su inviter à des voyages imaginaires ceux qui ne pouvaient pas voyager pour des raisons financières ou autres. Ainsi, les atlas de tout genre sont finalement proches de la fiction : qui ne s’est jamais perdu dans les pages de son atlas scolaire pour se rêver dans des lieux aux noms exotiques ? Qui n’a pas suivi, son doigt sur la carte d’un continent étranger, les lignes d’un chemin de fer mythique ou les déplacements d’un voyageur célèbre, qu’il ait réellement existé ou qu’il soit issu d’un monde fictionnel ?
Depuis l’invention du GPS et l’apparition de cartes virtuelles très précises sur nos smartphones, on pourrait croire que l’atlas est en voie de disparition. Curieusement, au même moment, on voit apparaître sur le marché du livre toute une série de nouveaux atlas qu’il vaut la peine de regarder de plus près. Il y a d’abord les atlas qui rassemblent des cartes de régions tirées d’œuvres littéraires célèbres, comme l’île au trésor de Stevenson ou la Terre du Milieu de Tolkien. Par ailleurs, il existe de plus en plus d’atlas poétiques qui répondent moins au besoin d’information du lecteur qu’à son penchant pour la rêverie – l’anglais a inventé pour cela le joli terme d’armchair travelling (le voyage dans un fauteuil). En France, les éditions Arthaud proposent toute une collection d’atlas de ce type, où l’on trouve entre autres l’Atlas des cités perdues, l’Atlas des lieux maudits ou l’Atlas des fortunes de mer. Tous ces ouvrages sont plus ou moins bien illustrés, tous se situent quelque part à la frontière entre la littérature factuelle et la littérature de fiction.
Dans le cadre de cette conférence, Charlotte Krauss s’attardera surtout sur un exemple particulièrement réussi, l’Atlas des îles abandonnées de l’autrice et graphiste allemande Judith Schalansky, paru la même année que Google maps, en 2009. Cet atlas, qui se distingue par une rare harmonie de texte et image, invite ses lecteurs à visiter cinquante îles situées particulièrement loin des continents. Habitées ou inhabitées, cartes à l’appui, ces terres lointaines servent de point de départ pour des récits brefs qui sont certes ancrés dans la réalité mais qui transportent le lecteur dans des imaginaires mythiques ou exotiques. En construisant un nouveau genre littéraire, ils perfectionnent ainsi les voyages dans un fauteuil des atlas traditionnels.