Le cinéma d’Almodóvar nous surprend toujours et encore. Lorsqu’on commença à le découvrir en France, il y aura bientôt de cela plus de trente ans, c’est son pouvoir de rupture qui semblait le plus frappant. Soudain, un univers s’imposait, avec une volonté de s’émanciper sur le champ. Peu importait au cinéaste de nous dire d’où il venait (il lui faudra du temps pour revenir en cinéaste dans La Mancha de son enfance), l’urgence était sa liberté. N’appartenant à aucune famille du cinéma espagnol, de la lignée d’aucun cinéaste au monde (l’heure de rendre hommage à ceux qui lui montrèrent le chemin viendra, mais plus tard). Larguant les amarres dans l’Espagne du renouveau, Almodóvar ne semblait vouloir qu’une chose : rompre avec le passé, avec les interdits et les dogmes franquistes, et, plus généralement avec tout ce qui pouvait constituer un modèle de vie, d’inspiration, de création ou de quoi que ce soit.

Lorsqu’on songe à ses films aujourd’hui, c’est, à l’inverse, leur pouvoir de créer du lien qui apparaît le plus marquant. Au fil du temps, une « culture Almodóvar » s’est transmise, passant par quelques mots-clefs (couleur, comédie, femmes, familles, travestis, émotions…) qui ont forgé un sentiment de complicité avec « Pedro », quitte à l’enfermer dans une image un peu trop simple (elle évolue, car il n’a cessé de lui apporter contrastes et nuances nouvelles). Si un public de plus en plus large a manifesté sa curiosité et son intérêt pour ce cinéaste à l’origine quasiment « underground », son univers s’est parallèlement affirmé comme celui du partage, de l’altruisme. Il a su nous dire beaucoup sur notre vie. Comme autant de chapitres de la même comédie humaine, ses films racontent les illusions et la nostalgie, les amours et les désamours, la générosité et la misère, les désespoirs et les espérances. Ils nous parlent également de la maternité et ses absences, de la douleur et  la mort, de l’histoire de l’Espagne, de ses oublis et de la transmission intergénérationnelle.

En s’appuyant sur quelques-unes de ses œuvres les plus marquantes : Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? (1984), Femmes au bord de la crise de nerfs (1988), La fleur de mon secret (1995), Tout sur ma mère (1999), La mauvaise éducation (2004), Volver (2006), Douleur et gloire (2019), Madres paralelas (2021), notre intervention proposera une mise en abîme de son univers filmique.