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26/04
Art

Salvador Dali, pitre ou génie ?

Nos adhérents connaissent bien Jean-Paul Salles, peut-être le plus fidèle de nos conférenciers, puisqu’il nous a donné de fort nombreuses conférences depuis 1999, particulièrement en histoire de l’art, son domaine de prédilection.

Nous avions aussi pu apprécier ses publications par temps de confinement sur le site de l’UTL : « Autour du couple » et « A la découverte des grandes œuvres » que vous pouvez d’ailleurs toujours consulter à la rubrique « Les actus de l’UTL ».

Il aura sans doute fallu cette conférence sur Dali pour que nous relevions dans les interventions de Jean-Paul, la présence récurrente de l’Espagne et de ses peintres, de Vélasquez à Picasso, du Greco à Goya et à Sorolla.

C’est aussi à cette occasion qu’il nous aura révélé la source de ses liens particuliers avec l’Espagne.

On relève,  comme souvent,  le rôle d’un professeur, en l’occurrence un professeur d’Espagnol, qui sut offrir au collégien l’opportunité de séjours en Espagne à l’occasion desquels il allait être séduit par la sociabilité espagnole et  la corrida, mais aussi par les peintres espagnols  qu’il découvrait au musée du Prado.

Rien d’étonnant à ce qu’engagé dans des études d’espagnol, le jeune homme ait rapidement bifurqué vers l’Histoire et l’Histoire de l’Art, à nouveau sous l’influence d’un professeur spécialiste de Zurbaran.

Voyez comment il nous présentait sa conférence :

Avec ses moustaches démesurées en paratonnerre, ses jongleries d’adjectifs saugrenus – il parlait de sa méthode paranoïaque critique -, Dalí a soigné son image de pitre. Mais l’artiste puissant, inventif, ne l’emporte-t-il pas sur l’irritant farceur ?

Né en 1904 à Figueres, non loin de la Barcelone moderniste de Gaudí, ami de Federico García Lorca et de Luis Buñuel, le voici dès 1927-28 dans le Paris des années folles où il rejoint Picasso arrivé de Barcelone 25 ans plus tôt. Dans cette ville de toutes les audaces artistiques, il se lie durablement à Gala, ancienne compagne de Paul Éluard, et pendant une dizaine d’années au mouvement surréaliste, produisant des œuvres inspirées à la fois par ses problèmes sexuels et par la douloureuse situation politique (guerre d’Espagne).

S’étant réfugié aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut bien accueilli par les mécènes et les collectionneurs. Ce furent des années de grande créativité, il diversifia ses activités, collaborant avec des créatrices de mode (Elsa Schiaparelli) ou de bijoux, avec des metteurs en scène, réalisant même à New York la vitrine d’un grand magasin.

Retrouvant après la guerre sa chère maison de Port Lligat en Catalogne, il revint au classicisme et produisit un certain nombre de tableaux religieux, sans renoncer à ses facéties. Avant sa mort, il aura eu le temps de créer dans l’ancien théâtre de Figueres un musée dalinien à sa gloire.

Pour Daniel Salvatore Schiffer, « L’excentricité du comportement, le goût de la provocation et la part d’humour en font l’un des génies, au sein de la galaxie dandy, de la création de soi » (in Le Dandysme, 2011).

Je n’ai pas l’ambition de retranscrire cette conférence, mais je voudrais partager avec vous quelques épisodes révélateurs :

Prénommé Salvador comme son défunt frère aîné,  Dali déclare : « Mon frère n’avait été qu’un premier essai de moi-même ».

Arrivant à Paris, en 1927,  il rend visite à son compatriote Picasso … « Dali : « Je viens vous voir, après j’irai au Louvre » – Picasso : « Vous avez bien fait ! ».

Il fréquente les surréalistes avec lesquels il partage la découverte de Freud  et de l’inconscient.

Il collabore avec Luis Buñuel  pour « Un chien andalou » 👉   http://www.formatcourt.com/wp-content/uploads/2020/04/chien.png

En 1938, les surréalistes opèrent leur tournant communiste en publiant « De la Révolte à la Révolution ».  André Breton se rend au Mexique pour rencontrer Trotski chez Diego Riviera et Frida Kahlo.
👉 https://www.andrebreton.fr/fr/file/205618/raw/HR_56600100630560_2_watermarked.jpg

 

Salvador Dali, pour sa part,  peint « l’énigme d’Hitler »  👉  https://www.salvador-dali.org/fr/oeuvre/catalogue-raisonne-peinture/obra/475/l-enigme-d-hitler

Il  est bientôt exclu du mouvement surréaliste.

« Est-ce ma faute, dit-il,  si je rêve de l’Angélus de Millet ou d’Hitler » ?

« Hitlérien ou Stalinien non, cent fois non… Dalinien ! »

 

Durant la guerre il se réfugie avec Gala aux Etats-Unis pour « fuir le tumulte ».

Le MOMA qui accueille « Guernica » de Picasso, organise dès 1941 une rétrospective Dali-Miro.

Son talent publicitaire lui assure le succès auprès de Helena Rubinstein ou de Schiaparelli pour laquelle il réalise la « robe homard » 👉  https://art.moderne.utl13.fr/2021/mod_schiapa8.jpg

« Comme les homards, les jeunes filles ont l’extérieur exquis. Comme les homards, elles rougissent quand on veut les rendre comestibles »

Son excentricité l’amène  à rencontrer les Marx Brothers ou Walt Disney, elle  ne fait pas obstacle à son enrichissement, sans doute y contribue-t-elle.

André Breton, dans une sortie assassine, crée l’anagramme stigmatisante «Salvador Dali- Avida Dollars ».

« C’est une anagramme qui était magique et qui m’a apporté une chance extraordinaire car depuis la pluie d’or a commencé à tomber sur ma tête comme une divine diarrhée monotone« .

 

Le riche diaporama qui accompagnait la conférence de Jean-Paul nous aura toutefois rappelé qu’à côté du personnage public, du « pitre » sachant jouer du scandale pour gagner en notoriété, se tient un grand dessinateur, un peintre qui maitrise une technique très classique, un virtuose qui pouvait se réclamer de Leonard de Vinci ou de Raphaël dans la pratique d’un ultra-académisme qui rejoint  parfois l’hyperréalisme.

Cela en fait-il un génie ?

La complaisance dont il a fait montre pour le régime franquiste dans la demeure de Port Lligat où il termina ses jours sera considérée par plus d’un comme une ombre au tableau.

 

Jean-Pierre Debauve